Geneviève Lepelletier

DRH en retraite

Geneviève Lepelletier

DRH en retraite

Publié le : 16/06/2025

6 minutes

analyse

La souffrance au travail n’est pas une fatalité

Travailler sa propre approche du sujet, rester en alerte dans son milieu de travail, être attentif à l’autre : autant de possibilités pour contribuer là où nous sommes à faire avancer positivement les situations.

Dans le langage courant, les termes de conflits, violence ou souffrance sont utilisés de manière indifférenciée : autant de mots qui cherchent à caractériser les situations de crise au travail.

L’ampleur et les causes du phénomène n’ont jamais fait l’objet d’autant de publication ni d’autant de mesures par des sondages et recherches. Selon une récente étude du Ministère du Travail, un Français sur six se dit concerné par une situation de souffrance au travail. Les chiffres varient selon les études mais la réalité perçue reste largement présente.

Une souffrance au travail de plus en plus présente

Le recul du lien social et la montée de l’individualisme dans nos modes de vie font que le collectif, l’équipe ou le syndicat, par exemple, ne jouent plus leur rôle de bouclier protecteur. La personne se retrouve seule face au conflit, sans aide ni repère.

L’entreprise recherche par définition la performance et demande de ce fait des résultats à ses collaborateurs. Rien d’anormal à cela. Le travail reste une contrainte. Pour autant, la complexité croissante des organisations, la multiplication des process, l’inadéquation de certains modes de management, la digitalisation du travail, sans oublier le télétravail, sont autant de broyeurs de lien social. Et donc de fragilisation individuelle.

Une simple discussion entre collègues autour d’un café peut-être très aidante dans la dédramatisation d’une situation. Quand cela n’existe plus, l’échange et la régulation d’une situation conflictuelle devient beaucoup plus difficile.

Le conflit, normal dans tout groupe humain, n’est pas forcément destructeur. Il le devient lorsque la personne n’est plus en situation d’agir sur la situation. On comprend mieux que les situations de souffrance explosent s’il n’y a plus de régulation par l’écoute et le lien social.

Enfin, la situation de la personne elle-même est un facteur déterminant ; une personne fragilisée dans sa vie personnelle n’aura pas la même grille de lecture ni la même capacité de réaction qu’une personne entourée et armée pour gérer une situation de crise.

Les systèmes vertueux en entreprise

Les causes de cette multiplication des situations de souffrance au travail sont multiples et dépassent largement nos capacités d’intervention en entreprise. Pourtant, réfléchir au sujet collectivement, agir à tous les niveaux de l’entreprise porte ses fruits. La multiplication cohérente et durable des petites actions a prouvé son efficacité. De nombreuses études l’ont démontré. Cohérence et constance dans les politiques menées sont deux critères de réussite essentiels.

Bien sûr, les dirigeants ont une responsabilité première en énonçant leur vision du sujet. Il leur appartient de construire un dispositif solide et animé régulièrement avec conviction. Les politiques ressources humaines sont également des leviers importants par la formation, la prévention, la mesure de la réalité via des indicateurs et des sondages internes. La mise en place de lieux d’écoute privilégiés et protégés est également indispensable.

La prise en charge de la qualité de vie au travail est devenue heureusement de plus en plus fréquente en entreprise, en particulier dans le cadre des politiques RSE. Celles-ci sont d’ailleurs suivies de manière attentive par les conseils d’administration. Les entreprises ont bien compris que de mauvais indicateurs nuisent à leur image et qu’il n’y a plus le choix.

Une attention de chaque jour

Aucun système, même bien fait, ne transforme le lien social s’il n’est pas irrigué au quotidien. On parle souvent de culture d’entreprise : la culture est faite d’actes observables au quotidien. Il appartient aux équipes au sein de toute l’organisation d’encourager le lien social.

Chacun peut faire beaucoup par l’attention portée à un collègue et par le refus de laisser des situations destructrices perdurer. Il s’agit aussi d’alerter dès que l’on est témoin d’une souffrance. Ce que l’on appelle les signaux faibles de souffrance sont souvent aussi visibles par les collègues que par le manager. Dans ce cas, prévenir les ressources humaines, la médecine du travail ou un représentant du personnel peut-être très utile pour initier une prise en charge de la crise.

L’analyse systémique, un outil pour agir

Au-delà de la sensibilisation et de la prévention, de nombreux outils et méthodes permettent d’agir efficacement pour sortir d’une situation de crise. En entreprise, le respect de la personne avant toute démarche d’accompagnement individuel est essentiel ; un cadre déontologique strict doit être respecté avec des limites claires sans lesquels les dérives sont très vite là. L’analyse systémique est une des démarches mettant la personne au centre de l’action.

De manière très simplifiée, l’analyse systémique (Ecole de Palo Alto) définit la crise non pas comme une impasse mais comme une phase de transition entre deux états d’équilibre (homéostasie). Ce n’est pas la crise elle-même qui génère la souffrance, mais bien l’écart perçu entre la situation vécue et la situation souhaitable.

Face à une situation de crise, le premier réflexe doit être de comprendre quel changement est à l’œuvre : s’agit-il d’un réajustement, d’un rééquilibrage ou d’un changement en profondeur ? Par exemple, lorsqu’une personne fait face à un épuisement professionnel, doit-elle récupérer pour pouvoir reprendre le même rythme qu’avant, ou bien cette crise révèle-t-elle un désalignement plus profond entre son mode de vie et ses besoins réels ?

Là où le langage courant oppose « problème » à « solution », la pensée systémique oppose « problème » à « objectif ». La solution n’est que le moyen pour passer du problème à l’objectif. La définition de l’objectif (ce que nous voulons changer dans la situation que nous subissons) est de ce fait très importante. Elle nous place en situation d’action possible.

Trois possibilités de changement s’offrent à nous : modifier quelque chose sans la situation elle-même (comportement, environnement), changer le regard que nous portons sur cette situation (adopter un autre angle de vue, modifier notre interprétation) ou changer de situation.

Face à une crise et à une souffrance, c’est davantage le « comment agir concrètement » que le « pourquoi c’est arrivé ? » qui importe. Le pourquoi reste le domaine de la psychologie et de la psychanalyse, que la personne choisit d’explorer en fonction de ses besoins . L’entreprise est là pour accompagner l’objectif défini par et avec la personne. Là est la limite à ne pas dépasser.

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