Ed. La Rumeur libre, 2024
112 pages
lu
NaƮtre au rien
Suivi dāIzieu
Un auteur inconnu, un titre provocant suivi du nom tragique dāIzieu, il nāen faut pas davantage pour se sentir aimantĆ©. Il sāagit du premier ensemble poĆ©tique dāun presque quarantenaire, comĆ©dien, metteur en scĆØne de nombreux spectacles ; lāun dāeux a engendrĆ© lāouvrage qui hĆØle Ć lāinstant. NaĆ®tre au rien entraĆ®ne dans une coulĆ©e de poĆØmes brefs avec majuscule Ć lāinitiale des vers non rimĆ©s dont lāabsence de ponctuation favorise la polysĆ©mie.
Ā« Tu me dĆ©ranges donc tu existes Ā», dĆØs lors on ne rĆ©siste pas Ć cette voix modeste, apparemment naĆÆve, qui suscite un kalĆ©idoscope sensoriel. On ne sait pas trop où lāon va, portĆ© par le refrain du titre Ā« naĆ®tre Ā» et surtout Ā« rien Ā», mais on poursuit sans hĆ¢te. Comme Rainer Maria Rilke le suggĆ©rait, ce poĆØte nourrit ses vers dāune expĆ©rience riche et vibrante ; il accorde une valeur au moindre brin dāexistence. Alors que le glauque, le violent et le complaisant ont volontiers les faveurs, lui cĆ©lĆØbre une douceur sans miĆØvrerie : Ā« Ne pas oublier / La bienveillance / Ils se taisent / Ćcoute dans ce silence / Lāeffroi des Ć¢mes / Le difficile transport / Les rencontres de tendresse. Ā» Les 65 pages du poĆØme morcelĆ© sont complĆ©tĆ©es par 13 pages continues, marquĆ©es par la tragĆ©die des fusillĆ©s dāIzieu, dont 44 enfants, sur ordre de Klaus Barbie en 1944. La tonalitĆ© grave trouve son contrepoint dans lāĆ©vocation dāune enfance inviolĆ©e : Ā« Comme les silencieux / Vous hantez nos rĆ©cits / Plus vivants que la pierre / Plus puissants que le souvenir des jardins. Ā» Cet ajout nāest pas sans lien avec la premiĆØre partie Ā« Quand je pense que rĆ©ellement / Je mourrai / quāinĆ©vitablement, je mourrai / Quāil nāy aura plus rien / Quand je pense Ć vous / Je fais le dĆ©tour. Ā»
Colette Nys-Mazure