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La frontière bleue
Court métrage de 29 mn, Furyo Films 2024
Le spectateur est placé devant un écran carré, en noir et blanc. Il lui faut du temps pour réaliser qu’il regarde à travers une caméra de surveillance. On devine une côte, une autoroute et des longues serres en plastique. Le son nous donne à entendre une phrase mystérieuse : « Un oiseau… qui volait… se demandait ce que ressentaient les poissons qui nageaient ». C’est la voix d’une petite fille dyslexique qui apprend à lire avec son père.
Sa mère est agente de la Guarda civil à Almeria au sud de l’Espagne. Elle travaille la nuit. Elle revient de la plage. Elle enfile une combinaison blanche et un masque anti-covid. Elle doit fouiller des migrants que les autorités espagnoles ont secourus en pleine mer. Ils tentent de dormir enveloppés par des couvertures de survie dans un centre de rétention.
Puis, le spectateur se retrouve sur un voilier de plaisance où un portugais et ses deux enfants se demandent quoi faire devant un bateau de migrants en détresse. À la radio, le Cross espagnol est formel : « Les secours sont envoyés. N’intervenez pas, éloignez-vous de cette zone ». Le bateau rentre au port. Le père de famille est troublé. Les adolescents vont à la fête foraine. On apprend qu’ils ne peuvent signer une pétition, car ils sont mineurs… et étrangers.
Enfin, un homme monte dans son camion où se sont introduits subrepticement 5 migrants. Il roule toute la nuit. À la radio, on entend le pape qui demande pardon pour la fermeture de l’Europe. La première ministre adjointe italienne répond : « nous sommes généreux, contrairement à ce que pensent de pseudo-Catholiques qui veulent nous faire croire… » Le camion est stoppé à la frontière française où les migrants sont arrêtés sans violence.
Ce film nous met mal à l’aise. Tout le monde joue son rôle de manière très professionnelle : la police espagnole, les touristes portugais, les douaniers français… Tout le monde a ses problèmes, et chacun entend ceux des autres à travers des écrans. Pourtant, le film fait ressentir le drame : la Méditerranée est devenue le plus grand cimetière du monde. Petit à petit, nous comprenons comment notre silence nous rend complice d’une structure de péchés : Nous sommes des oiseaux qui volent : Pouvons-nous nous demander ce que ressentent les poissons qui nagent ?
Le film se termine sur l’image d’une nigériane dans une cabine téléphonique. Le téléphone ne répond pas, tandis qu’un feu d’artifice se reflète sur la vitre. Pour les chrétiens, la parabole du jugement dernier de Saint Mathieu résonne : « J’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ! » (Mt 25, 43).
Betrand Hériard, aumônier de secteur
