Eli Ferreira

Soignante, membre d’Eccleria

Eli Ferreira

Soignante, membre d’Eccleria

Publié le : 15/07/2025

6 minutes

témoignage

“L’incertitude de la fin de vie nous fait côtoyer la transcendance”

Une soignante témoigne de son cheminement spirituel dans l’accompagnement des personnes en fin de vie, et de ses craintes sur une évolution de la législation.

L’accompagnement de la personne soignée est, me semble-t-il, une caractéristique intrinsèque à la pratique du soignant quel que soit sa fonction ; aide-soignant, infirmier, médecin. Pour ma part, dans mes différentes fonctions exercées depuis plus de 25 ans, je peux dire qu’elle fait partie intégrante du soin : que ce soit en réanimation, service par lequel j’ai commencé en tant qu’hospitalière, en soins palliatifs ou dans le service où je travaille aujourd’hui.

L’accompagnement, au sens étymologique, provient du latin, « celui avec lequel je mange le pain ». En tant que chrétien, cela ne peut que faire référence à Celui qui nous précède, qui prend soin de nous, qui reste avec nous quelques soient les chemins que nous prenons et quelle que soit leur difficulté. Suivre ce chemin relève d’une réelle vocation : celle d’accompagner la personne soignée pour qu’elle ne se sente pas seule dans la maladie, en particulier lorsque la maladie s’avère grave et incurable.

C’est en service de soins palliatifs que j’ai le plus appris

C’est une chance de pouvoir exercer dans une équipe pluridisciplinaire et discuter d’une prise en soins que l’on souhaite la meilleure possible pour le patient et ses proches.

Au début, j’étais surprise du nombre de moments informels que l’on prenait en équipe pour discuter des situations cliniques. La durée du temps de discussion était aussi importante que le temps de rencontre avec le patient et sa famille. Pour moi, qui n’était pas très volubile, ne pas être dans « l’action » était d’une difficulté sans nom.

Puis j’ai pris le temps de descendre, descendre, descendre vers mon moi profond, cet endroit où l’on est sans fioriture, sans artifice, « à nu ». Où Dieu est toujours là, parce qu’Il est partout. Il s’agissait de descendre, avec la peur toutefois de ne plus pouvoir remonter. Peur que les pulsions de mort ne prennent le pas sur les pulsions de vie et donc peur de me perdre moi-même. Là est l’enjeu de la vie chrétienne : savoir que l’on n’est jamais seul, que le Seigneur nous accompagne sur tous les chemins, que nous avons des phares sur notre route qui nous permettent de nous repérer, nous guider, et pour moi Eccleria en est un.

Le chemin de l’accompagnement

Lorsque j’ai trouvé l’équilibre entre l’engagement et ma vie privée, entre le partage en équipe et mon ressourcement personnel, j’ai eu le sentiment de pouvoir aller très loin dans l’accompagnement. Ce cheminement m’a permis d’être plus à l’écoute de la personne que j’étais, avec mes forces et mes faiblesses, puis d’être plus disponible pour les autres.

Dans l’exercice de mon métier de soignante, je ne me sentais plus seule pour accompagner le patient avec ce qu’il pouvait présenter comme symptômes pénibles que je craignais ne pas pouvoir soulager, avec l’expression de sa souffrance que je pensais ne pas pouvoir assumer.

Nous étions tous à la place qui était la nôtre, face à notre finitude

Je n’étais pas seule car accompagnée par Celui qui est vie et qui accompagne quelquefois avec tristesse toute personne qui souffre (Jn XI, 32–3-) ; Il est toujours là, mais sa puissance est ailleurs que dans les miracles : dans l’amour et dans la force de vie. Pas seule car il y avait une équipe avec moi, car « jusqu’à la mort, [nous accompagnons] la vie », superbe leitmotiv de l’association de bénévoles JALMALV. Et pas seule parce que le dialogue avec le patient et sa famille était riche de la confiance partagée… Nous étions tous à la place qui était la nôtre, face à notre finitude et chacun, avec son savoir échangé, au service du meilleur pour le patient et ses proches. Finalement, en soutenant l’amour et la vie, la puissance de Dieu passait.

La crainte d’une loi sur la fin de vie 

Lorsque j’entends les discussions sociétales et politiques autour d’une évolution législative sur le droit à mourir, cela m’interroge.

Bien sûr, il y a des situations suivies où l’on sent bien que ce qui se vit n’a aucun sens. Où l’on entend bien que si la loi en France aidait au suicide ou à l’euthanasie, cela aurait été demandé. Où l’on voit bien que les soins palliatifs, dans de rares cas, ne peuvent pas répondre à toutes les souffrances, et en particulier aux souffrances existentielles.

Faut-il pour autant légiférer ? La France prend cette voie. Peut-être que si j’étais certaine que le cadre législatif soit respecté, je serais d’accord pour cette évolution. Je la demanderais même. Mais je crains qu’il n’y ait alors plus de place pour l’incertitude, qui, comme le dit merveilleusement bien Jean-François Malherbe[1], est un levier pour la réflexion éthique.

Cette incertitude caractérise notre spécificité humaine, au même titre que la solitude et la finitude, et nous vivons de manière plus aiguë lorsque nous côtoyons la mort. Lorsque nous sommes accompagnés par d’autres personnes qui partagent ces mêmes caractéristiques (malades ou soignants), nous nous rencontrons dans le plus fragile et le plus beau de ce que nous sommes : des êtres humbles, riches de la transcendance que nous touchons.

Le risque de la toute-puissance humaine

Ainsi, je crains la toute-puissance humaine et médicale. Les décisions seront-elles toujours bien prises avec la personne soignée ou est-ce un membre de la famille qui portera sa parole avec le risque de mal l’interpréter ?

Le don de la vie qui nous a été fait, reste un mystère, une merveille à co-construire

Quid de la pression sociétale ? La personne malade demandera-t-elle une aide à mourir car elle se sentira un poids pour la société, comme c’est fréquemment décrit chez nos voisins belges ? A partir de quand, devient-on un poids ? Lorsqu’on perd son autonomie physique ? Son autonomie psychique ? Son emploi ?

Restons vigilants, quelle que soit l’avancée législative. Restons en éveil. Et restons humbles… car le don de la vie qui nous a été fait, reste un mystère, une merveille à co-construire.

***

[1] Homicide et compassion. L’euthanasie en éthique Clinique

Pour aller plus loin

Partager sur les réseaux