James Whitaker
Père abbé, accompagnateur spirituel d’une équipe Eccleria à Tours
James Whitaker
Père abbé, accompagnateur spirituel d’une équipe Eccleria à Tours
regard spirituel
L’espérance chrétienne : choisir d’aimer ce monde où Dieu nous attend
Face à la tentation du découragement, l’espérance chrétienne nous invite à transformer nos peurs et nos épreuves en occasions d’aimer, à l’image du Christ. Un changement de regard pour mieux habiter le monde qui est le nôtre !
Crise économique, chômage, stress, explosion de violence… Dans un monde qui change de plus en plus vite, le désespoir semble n’avoir jamais été autant présent. Avec une prise de conscience aigüe que rien n’est acquis définitivement. Jusqu’au milieu du XXe siècle, on vivait avec l’idée que le progrès nous conduisait vers un mieux (santé, industrie, robots ménagers…), qu’il nous ouvrait un grand avenir. Aujourd’hui, le progrès est synonyme de risque ; il nous rappelle que les jours meilleurs sont derrière nous (pollution, climat, IA, etc.). Le but n’est plus de progresser, mais d’éviter d’empirer les choses.
Quant au christianisme, il s’efface de la culture commune et le chrétien assiste impuissant à cette chute. Comment la foi peut-elle être un réconfort ? Comment voir un signe de l’action de Dieu dans cette disparition de Dieu ?
Reconnaître que Dieu est déjà donné, c’est cela espérer.
Avoir foi en Dieu, ce n’est pas vivre dans un monde où Dieu règlerait les problèmes. L’espérance chrétienne n’est pas une attente qui s’enracinerait dans nos besoins, nos manques à combler. Dieu n’est pas à venir, à attendre, il est déjà donné. Nous avons « juste » à consentir à ce don. Reconnaître que Dieu est déjà donné, c’est cela espérer. Nous n’espérons en Dieu que parce que nous le « possédons » déjà. Saint Augustin nous dit ainsi que « le bonheur, c’est de continuer à désirer ce qu’on possède déjà ». La possession de Dieu est présente, mais jamais complète, toujours à découvrir. L’espérance est à la fois le présent et l’avenir.
Le courage de renoncer aux consolations imaginaires
Pour parler de l’espérance, il faut regarder le désespoir en face. Notre premier devoir de veilleur est de regarder la nuit comme elle est. L’espérance chrétienne ne réclame pas d’optimisme mais du courage. « C’est un acte héroïque, dont les lâches et les imbéciles ne sont pas capables ; c’est l’illusion qui leur tient lieu d’espérance » (Bernanos, conférence 1945). Le courage est nécessaire à l’espérance car pour pouvoir espérer vraiment, il faut accepter de renoncer à nos illusions, à tous les faux espoirs, nos filets de sécurité… que nous confondons avec Dieu lui-même et dont l’échec nous déconcerte tant. Ce renoncement est particulièrement douloureux.
Refuser les faux espoirs pour être présent au monde, là où Dieu nous attend, est déjà un acte d’espérance
La promesse que Dieu fait à l’Homme n’est pas celle du triomphe ou de la réussite, mais celle de sa présence. Pour accueillir cette promesse, il nous faut donc renoncer aux faux dieux. La promesse « Je serai avec toi » n’est pas un simple réconfort. Elle exige de renoncer d’abord à toutes les consolations imaginaires. Cesser d’imaginer un avenir meilleur, un passé idéalisé. Ces compensations imaginaires ne sont pas le réel, elles déçoivent toujours. Refuser les faux espoirs pour être présent au monde, là où Dieu nous attend, est déjà un acte d’espérance chrétienne. Nous ne devons attendre notre salut que de Dieu seul : n’attendre que de Dieu, c’est déjà le recevoir ; le renoncement nous accule à n’espérer qu’en Dieu.
Les souvenirs sont plus doux, mais ils n’ont jamais la saveur du réel. On n’espère pas dans le passé, on espère que dans l’avenir. Le passé est toujours plus rassurant, il ne porte pas l’angoisse de l’incertitude. Laissons les morts enterrer leurs morts et regardons le monde en face. Luttons contre la tentation permanente de construire nos propres réserves, de vivre entre nous, bref… de résister au monde. Renonçons à voir se réaliser, même partiellement, le triomphe de l’Église, pour accepter le triomphe paradoxal de la croix. Résistons à la tentation de nous poser en victimes.
Espérer pour la vie éternelle, adopter le point de vue de l’amour
Espérer, c’est croire que Dieu nous rend capables de poser des actes éternels. Ainsi, aimer n’est pas seulement un sentiment, mais une porte ouverte sur l’éternité. Aimer porte des fruits d’éternité, qui construisent, déjà dans notre monde, le Royaume de Dieu. Il n’y a pas d’un côté la vie en ce bas monde plein de souffrance et de l’autre la vie éternelle faite de délice. C’est la même vie.
Quand le monde nous fait peur, transformer les évènements en occasions d’aimer, c’est cela le miracle
Espérer c’est choisir, c’est décider de préférer l’éternel au reste, d’ordonner nos choix en fonction de leur poids d’amour. La vie éternelle n’est pas une évasion du réel mais au contraire la prise au sérieux de notre monde, en le regardant pour ce qu’il est, en donnant à chacun de ces éléments sa juste place, son juste poids.
Adopter le point de vue de l’éternité, c’est adopter le point de vue de l’amour. Espérer, ce n’est pas se voiler la face, mais croire que l’amour est plus solide que le reste : « l’amour ne passera jamais » nous dit Paul. Quand le monde nous fait peur, l’espérance chrétienne ne nous invite pas à pleurnicher ou à nous victimiser. Elle nous pose une question : comment faire de tout cela une occasion d’aimer davantage ? Transformer les évènements en occasion d’aimer, c’est cela le miracle, c’est cela qui donne du sens. Un sens qui n’est pas contenu dans les choses, mais procède de mon choix. On peut s’y exercer sur de petites choses, pour devenir meilleur dans nos capacités d’aimer. Pour nous aimer les uns les autres de l’amour même dont le Christ nous a aimés, avec l’amour dont il ne cesse de nous aimer.
Choisir de nous unir à Dieu, d’apprendre de Lui
Espérer c’est déjà “posséder” Dieu, Le connaître intimement sans jamais en faire le tour. C’est de cette manière qu’on transforme le mal en bien, à l’exemple de Jésus : ce n’est pas la croix qui sauve, mais la manière dont Jésus vit ce supplice ; il en fait le lieu du plus grand amour, sans se plaindre, sans nier le mal, il choisit d’aimer jusqu’au pardon. Quand nous rencontrons la souffrance, à la suite du Christ nous sommes invités à choisir de nous unir à Dieu. La vie éternelle, c’est ne plus vivre pour soi-même, isolé.
Transformer les évènements en occasions d’aimer demande un renversement des choix, une conversion. Les chrétiens savent bien ce qu’il en coûte de se convertir. Ils vont à la messe pour apprendre à faire comme le Christ. Au cœur de la débandade, Jésus vient donner du sens : « ceci est mon corps… donné pour vous ». Participer à l’eucharistie, c’est espérer. Apprendre de Lui, Le recevoir qui se donne. Il n’est pas d’autre manière d’apprendre que de recevoir.