Jacques Debouverie

Membre du Ceras

Marcel Rémon

Directeur du Ceras et de la Revue Projet

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Marcel Rémon

Directeur du Ceras et de la Revue Projet

Publié le : 27/05/2025

5 minutes

analyse

Léon XIV, un pape enraciné dans la doctrine sociale

Le nom que s’est choisi notre nouveau pape témoigne de sa sensibilité pour les questions sociales. Décryptage par Marcel Rémon et Jacques Debouverie, membres du Centre de recherche et d’action sociales (Ceras).

L’héritier de Léon XIII

Quel sera le pontificat de Léon XIV ? Dès ses premiers mots en tant que pape, trois accents forts doivent être soulignés : son appel insistant à la paix et au dialogue, sa volonté de poursuivre l’orientation de François et sa référence à l’auteur de l’encyclique inauguratrice de la « doctrine sociale de l’Église » (Rerum Novarum, Léon XIII, 1892).

Deux jours après son élection, il déclare au Collège cardinalice que « de nos jours l’Église offre à tous son héritage de doctrine sociale, pour répondre à une autre révolution industrielle et aux développements de l’intelligence artificielle, qui posent de nouveaux défis pour la défense de la dignité humaine, de la justice et du travail ». 

Léon XIV annonce la couleur : les valeurs de l’Évangile permettent de chercher des points d’équilibre en matière sociale et d’établir des principes forts pour guider l’action politique.

L’enfant de Chicago et l’ami du peuple latino

Léon XIV est issu d’une famille de classe moyenne, de parents éducateurs et enseignants d’origine très mélangée (créole, italienne,…). Son quartier, à majorité blanche en 1980 (90%), a connu des changements radicaux à la suite des révolutions industrielles, s’afro-américanisant presqu’entièrement (90% en 2020).

Au Pérou, comme missionnaire augustinien, il montre un vif intérêt pour la culture locale et l’accompagnement du peuple. Ayant été proche de Gustavo Guttiérrez qui fut l‘instigateur de la théologie de la libération, le futur pape s’inscrit dans une continuité avec l’approche sociale et libératrice de l’Église. Il a vécu à Trujillo (Pérou) pendant 10 ans avec son ami John Lydon, prêtre canadien augustinien dont il a préfacé le livre sur la doctrine sociale.

Devenu pape, il fait sien le diagnostic tranché de François lorsque celui-ci utilisait le terme de « polycrise pour évoquer la nature dramatique de la conjoncture historique que nous vivons actuellement, dans laquelle convergent les guerres, le changement climatique, les inégalités croissantes, les migrations forcées et contrariées, la pauvreté stigmatisée, les innovations technologiques perturbatrices et la précarité du travail et des droits » [1].

Une doctrine sociale pour le discernement

Dans cette préface et devant la fondation « Centesimus Annus », Léon XIV revient sur ce qu’il entend par « doctrine sociale ». Il s’agit d’une « culture de la rencontre », seule capable de sortir des ornières dans lesquelles « beaucoup de nos contemporains » sont enlisés. Il s’agit d’une ouverture au sens critique dont le nouveau pape souhaite la redécouverte. C’est, dit-il, un « cheminement commun, choral et même pluridisciplinaire vers la vérité ». La doctrine s’oppose à l’endoctrinement qu’il qualifie « d’immoral » car empêchant tout jugement critique et tout changement. Il présente la doctrine sociale de l’Église comme « un instrument de paix et de dialogue pour construire des ponts de fraternité universelle ».

La doctrine sociale permet à l’Église d’assurer son « devoir permanent de scruter les signes des temps, de les interpréter à la lumière de l’Évangile afin d’apporter des réponses adaptées aux interrogations » des hommes. Elle est à l’écoute de « ceux qui sont loin des centres de pouvoir » et des pauvres, « trésors de l’Église et de l’humanité, porteurs de points de vue rejetés, mais indispensables pour voir le monde avec les yeux de Dieu », pour les instruire dans la doctrine sociale d’une part, mais aussi pour les reconnaitre comme « ses continuateurs et ses actualisateurs ».

Et Léon XIV précise : « Les mouvements populaires et les diverses organisations catholiques de travailleurs sont l’expression des périphéries existentielles où l’espérance résiste et germe toujours. Je vous exhorte à donner la parole aux pauvres ».

Une invitation pour les professionnels 

Voilà d’intéressantes perspectives dressées par le pape, qui ne peuvent manquer d’interpeller les chrétiens insérés dans le monde professionnel : actualiser leur réflexion sociale face aux changements dans la sphère du travail, poursuivre un dialogue courageux et fécond avec nos contemporains sur ce sujet.

Les critères de discernement restent la dignité humaine et la dignité du travail comme repères et objectifs d’une économie juste et bonne pour tous. Mais Léon XIV nous offre déjà des accents nouveaux : « dire « non » à la guerre et « oui » à la paix, « non » à la course aux armements et « oui » au désarmement, « non » à une économie qui appauvrit les peuples et la Terre et « oui » au développement intégral » (discours du 19 mai aux autres églises). Il insiste plusieurs fois sur la révolution numérique dont on voit se dessiner les opportunités autant que les risques et les conséquences sociales problématiques.

Nombreux sont les jeunes (et moins jeunes) qui désirent donner davantage de sens à leur expérience professionnelle et avoir un effet positif sur le monde en mutation. Nombreux sont les managers qui donnent davantage de place à la bienveillance, au lien social et à la reconnaissance de la dignité des personnes dans leurs missions traditionnelles. Nombreux sont les salariés et dirigeants qui s’interrogent sur les formes d’organisation et de participation dans l’entreprise. Autant de sujets qui sont en résonnance avec notre nouveau pape.

[1] Message du pape François aux participants à l’Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la vie, 26 février 2025)

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