
Mélanie Block
Fondatrice de l’association Hors-les-Murs Sorties & apprentissage, et accompagnatrice d’une équipe Eccleria

Mélanie Block
Fondatrice de l’association Hors-les-Murs Sorties & apprentissage, et accompagnatrice d’une équipe Eccleria
témoignage
“Laudato Si’ a changé ma vie”
Après 20 années en tant qu’enseignante en économie et gestion, Mélanie Block devient entrepreneuse à impact éducatif et social, engagée dans la transition environnementale et sociale. Elle témoigne de cette conversion.
Lorsqu’en mai 2015, l’encyclique Laudato Si’ est publiée, je comprends intuitivement l’importance majeure de ce texte pour moi-même et pour le monde. Il me rejoint immédiatement dans l’affirmation selon laquelle il n’existe pas de justice environnementale sans justice sociale, et que « tout est donné, tout est lié, tout est fragile ».
En 2017, le label Église verte est lancé et je découvre et expérimente pour la première fois une fresque du climat, dont je perçois l’intérêt dans la prise de conscience écologique pour moi-même et pour mes élèves. J’y reçois les paroles suivantes de Laudato Si’ : « La conscience de la gravité de la crise culturelle et écologique doit se traduire par de nouvelles habitudes (209) « comme jamais auparavant, dans l’histoire, notre destin commun nous invite à chercher un nouveau commencement » (207) « le contexte de très grande consommation et de bien être rend difficile le développement d’autres habitudes . C’est pourquoi nous sommes devant un défi éducatif » (209).
Une prise de conscience, un appel intérieur
L’expérience de cette fresque me fait passer de la stupéfaction au déni et à la colère, puis à l’intégration des conséquences dramatiques de nos choix économiques sur la maison commune et notre vie sur terre : effondrement de la biodiversité, famines, conflits armés, canicules, maladies, migrations climatiques, etc. « Nous évaluons les portefeuilles, plutôt que les pollinisateurs » (post de JM Jancovici, mai 2025).
Je prends conscience de notre dépendance au monde du vivant sans lequel nos activités économiques disparaitraient. Il est temps, j’ai 50 ans.
Je ressens de plus en plus de dissonance entre ma vie personnelle et professionnelle, d’une part, et ce mouvement d’une écologie intégrale auquel je me sens appelée, d’autre part. Enseigner une économie qui détruit nos propres conditions d’existence devient de plus en plus difficile pour moi, d’autant plus que je ne changeais rien dans mes habitudes de vie. Je me disais qu’il eut été préférable que je naisse à une autre époque, dans un autre lieu. J’ai vécu entre 2015 et 2019 ces tentations qui nous détournent du temps présent, souhaitant mettre de la perfection dans les choses à venir et mépriser les choses présentes.
« Ne différons jamais une bonne œuvre, fut-elle petite, dans l’idée que nous en ferons d’autres en d’autres temps » (Saint Jean-Baptiste de La Salle). Entre 2019 et 2020, j’entame les Exercices spirituels de Saint Ignace dans la vie ordinaire, sans quitter mon cadre habituel de travail et de famille. Je suis accompagnée de façon hebdomadaire, dans le respect de mon évolution intérieure et de mon compagnonnage avec Jésus. Le terreau de ce compagnonnage ne fut rien d’autre que ma vie et mes multiples questionnements sur cette écologie intégrale à laquelle je me sentais appelée. Une retraite peut être vécue comme une séparation de son quotidien ; je l’ai vécue comme une plongée dans mon quotidien, et c’est dans ce quotidien que Jésus m’a rejointe, pour me confirmer mon identité (une femme solide et forte dans la foi) et en même temps me transformer. J’ai vécu un engendrement à quelque chose de neuf. La Parole de Nicodème a résonné longtemps en moi « Comment un homme pourrait-il naître s’il est vieux ? En vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu. » (Jn‑3).
Une progressive conversion personnelle et professionnelle
Une de mes filles devient végétarienne, je la suis et je commence à faire un pas de côté dans mon alimentation, mes déplacements, ma consommation. Petit à petit, je m’implique par un « engagement dégagé », grâce à la liberté du Christ qui me dégage de moi-même et qui m’invite à m’assumer en tant que personne unique. Ce cheminement me permet de retrouver une capacité critique et de la distance face aux usages.
Je suis prête à faire un pas de côté aussi dans ma vie professionnelle car le système d’enseignement technique m’apparaît désormais déraisonnable.
Je constate chez mes élèves une méconnaissance totale de ce qui est en train d’advenir
Je prends conscience que la technique modifie tellement nos comportements et habitudes qu’elle nous met à son service en attaquant notre liberté.
Or éduquer c’est faire naître à la vie un être libre, capable de faire des choix consciemment. Ce n’est pas seulement donner des clés pour s’intégrer au monde tel qu’il est mais enseigner à penser. Inviter à un « magis », à un autre chose, un compromis, un questionnement, apprendre à discuter au lieu de répondre compulsivement aux appels des algorithmes. Apprendre, c’est construire sa liberté, cela ne se reçoit pas. Ce n’est pas par l’autorité ou la contrainte que se forme l’esprit mais par l’initiative et la confiance.
Les projets éducatifs encourageant les expériences de vivre ensemble, propices à cette relation de confiance, doivent être d’accompagnés et valorisés, et les enseignants soutenus dans leur démarche. C’est ainsi qu’est née l’association « Hors les murs, sorties & apprentissage », une plateforme en ligne qui propose aux enseignants des filières technologiques et professionnelles de vivre avec leurs élèves des rencontres d’acteurs économiques dans différents domaines d’activité, lors de visites, de voyages et d’ateliers.
Hors les murs, une association qui invite à une économie de la relation
Notre projet invite les enseignants et leurs classes à se laisser déplacer par des sorties hors des circuits traditionnels, en allant notamment aux périphéries des villes pour y découvrir les organisations et les hommes et femmes qui y travaillent, rencontrer les acteurs de l’économie sociale et solidaire, mais aussi à expérimenter des ateliers sur la transition environnementale et sociale, sur la citoyenneté et le vivre ensemble.
« Eduquer, c’est introduire dans la totalité de la vérité. Éduquer humainement mais avec des horizons ouverts » nous dit le pape François à l’occasion du Congrès mondial “Éduquer, une passion sans cesse renouvelée” en 2025. Pour l’association Hors les murs, cette invitation se matérialise par un enseignement fondé sur une vision ouverte de l’économie, comme lieu de richesse relationnelle et de médiation sociale. Favoriser la rencontre entre le monde de l’éducation et celui des organisations participe pleinement de cette vision.
L’économie concerne la vie dans ce qu’elle a de plus matériel mais aussi de plus existentiel. Il faut donc partir de la vie, du monde réel, pour donner du sens à la vie et pas seulement pour répondre à la satisfaction des besoins.
Les visites et ateliers que l’association propose ont vocation à créer une appartenance commune, une interdépendance entre tous les acteurs.
L’économie sert à tisser des liens avant même de satisfaire des besoins, à l’instar de la vision portée par les acteurs de l’économie sociale et solidaire, commerce équitable, ressourcerie, finance verte. Les projets de rencontres ne manquent pas !
En guise de conclusion, j’aime à citer les propos d’Elena Lasida (Le goût de l’autre. La crise, une chance pour réinventer le lien, 2016), qui entrent en parfaite résonnance avec le projet éducatif de l’association Hors les murs : « Plus qu’un lieu où l’on vend des biens et des services, l’économie est pour nous un lieu de richesse relationnelle. Plus qu’un système pour réguler la circulation des biens et services, l’économie est pour nous un facteur de médiation sociale. Plus qu’un moyen de satisfaire des besoins, nous pensons que l’économie est le lieu où se construit la société. »