Marc Renner

Membre d’Eccleria, professeur des universités puis directeur d’école d’ingénieurs

Réflexion menée en réunion de rentrée du Secteur de Mulhouse le 10 octobre 2025

Marc Renner

Membre d’Eccleria, professeur des universités puis directeur d’école d’ingénieurs

Réflexion menée en réunion de rentrée du Secteur de Mulhouse le 10 octobre 2025

Publié le : 12/11/2025

6 minutes

analyse

Intelligence artificielle : où allons-nous ?

L’intelligence artificielle s’invite désormais dans notre quotidien, sans que nous en mesurions pleinement l’ampleur et les conséquences. Décryptages des bienfaits et dangers.

En 1997, Deep Blue (IBM) bat Garry Kasparov aux échecs. En 2022, Open AI lance Chat GPT qui ouvre au monde en quelques mois l’usage massif de l’intelligence artificielle générative. On peut se demander pourquoi une trentaine d’années a été nécessaire, malgré les progrès massifs de l’informatique, pour aboutir à l’état actuel du deep learning qui révolutionne notre manière de raisonner et de travailler ?

La réponse est simple : il a fallu attendre la conjonction d’une puissance de calcul suffisante et d’une quantité de données adéquate (Big Data) à disposition des serveurs des data-center pour que la mayonnaise de l’IA prenne forme et s’amplifie au fur et à mesure qu’on la nourrit de données et de requêtes.

Intelligence artificielle versus intelligence humaine : la clé du débat

On ne peut se questionner sur l’intelligence artificielle sans la comparer à l’intelligence naturelle et tout particulièrement à l’intelligence humaine que nous allons appeler IH. Cette comparaison peut se faire sur un ensemble de critères :

  • mémoire : l’IA semble aujourd’hui bien plus performante que l’IH.
  • raisonnement : IA et IH se valent, et les progrès massifs de l’IA pourraient lui permettre de prendre le dessus, sans toutefois pouvoir faire appel à la notion de conscience qui est propre à l’humain.
  • imagination : si imaginer consiste à s’inspirer de l’existant, l’IA peut s’avérer redoutable. J’ai toutefois des doutes sur sa capacité à imaginer quelque chose de totalement nouveau. Cela questionne tout particulièrement le domaine des arts et plus largement celui de la recherche. Le danger d’une « consanguinité Â» d’un processus d’innovation par l’IA fondé sur des données générées par l’IA est réel.
  • émotions : les émotions relèvent pleinement de l’humain qui ne devrait pas se laisser piéger par des émotions artificielles. Il en est de même pour les sentiments. Il y a là un réel danger d’artificialisation des émotions et des sentiments.
  • instinct / intuition : moins habile que l’animal dans ce domaine, l’humanité doit toutefois sa survie à une part d’instinct, voire d’intuition. L’intuition artificielle peut en revanche se fonder sur l’analyse massive de données et détecter des signaux faibles que les humains ne peuvent percevoir.
  • conscience : elle est la base même de l’intelligence humaine, fondement du raisonnement et des croyances de l’humain. Je ne vois pas comment l’on pourrait concevoir une conscience artificielle, mais je touche là à mes limites en matière de philosophie !

Les deux formes d’intelligence peuvent a priori se compléter et l’IA pourrait augmenter l’IH. Il convient toutefois de ne pas lui laisser prendre le dessus !

La déferlante de l’IA générative nous a appris en quelques années à maîtriser l’art du « prompt Â». Sans vérifications, une confiance aveugle accordée à l’IA peut certes permettre de gagner du temps, mais aussi conduire à des impasses.

Lire aussi : L’IA générative, l’envers du décor 

IA et robotique : un binôme explosif

Initialement, les robots étaient basés sur la mise en œuvre d’automatismes qui permettaient d’imiter le geste de l’humain et de seconder ce dernier pour des tâches pénibles et répétitives sur la base d’un apprentissage et/ou d’une programmation.

L’intelligence artificielle et l’accès au Big Data ont donné à la robotique, et notamment à celle que l’on qualifie d’embarquée, une dimension vertigineuse et encore capable de progrès massifs dans le futur. Ainsi, le véhicule automobile gagne d’année en année de nouvelles fonctions et devient de plus en plus autonome. Ce sont certes les progrès des automatismes, mais surtout la capacité du véhicule à communiquer avec son environnement externe qui permettent ces avancées.

Il en est de même pour les drones qui au-delà de leur rôle de détection et de repérage, ont gagné le champ de bataille des guerres modernes pour détruire humains et matériels. Moins puissants mais plus discrets, certains drones pourraient atteindre la taille d’un insecte. Par ailleurs, le vol des drones sous la forme d’essaims est possible grâce à l’IA et s’avère particulièrement redoutable !

Dans un autre registre, les chatbots sont de véritables robots conversationnels capables de reconnaître la voix et dotés d’une mémoire exceptionnelle.

IA et ordinateur quantique : une marche dont on ne mesure pas encore la hauteur

Enjeux de très grands investissements et parfois en concurrence avec ceux dédiés à l’intelligence artificielle, le développement de l’ordinateur quantique nous laisse présager l’informatique du futur.

Elle est fondée sur le traitement de qubits — combinaison pondérée entre les bits 0 et 1 de l’informatique classique — qui amplifie de manière exponentielle le potentiel de calcul. Toutefois, la génération des qubits relève de la physique quantique, ce qui explique le caractère expérimental et complexe de l’ordinateur quantique à ce jour, du fait de la mise en œuvre de matériaux supraconducteurs, ainsi que son coût très élevé.

On peut toutefois imaginer dès à présent que le développement de l’informatique quantique au-delà de son caractère expérimental, pourrait apporter à l’intelligence artificielle un souffle nouveau en termes de puissance de calcul, et lui ouvrir la voie vers la « super intelligence artificielle Â» dont on ne mesure pas encore les conséquences.

Où allons-nous ?

Face à une technologie certes ancienne — l’intelligence artificielle — mais qui a connu plus récemment un développement vertigineux grâce aux progrès de l’informatique et à son accès à un gigantesque champ de données à l’échelle de la planète, nous devons faire preuve de discernement pour en tirer profit sans toutefois nous y aliéner.

Si l’humain peut voir à son avantage sa mémoire augmentée et son raisonnement amplifié, il ne doit en aucun cas perdre le contrôle de sa conscience, de ses émotions et de ses sentiments. Aussi, à l’heure où certains décideurs rêvent de la super intelligence artificielle alors que d’autres appellent à stopper la course à son développement, veillons à notre échelle de grader le contrôle de nos apprentissages, de notre créativité et de notre capacité à innover.

Dans son livre, Luc Ferry pose la question : IA, grand remplacement ou complémentarité ? Je préfère envisager la complémentarité.

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