Mireille Lévèque

Comité de rédaction, spécialiste des questions écologiques

Mireille Lévèque

Comité de rédaction, spécialiste des questions écologiques

PubliĂ© le : 08/07/2025

5 minutes

analyse

A la source d’un nouveau dialogue interreligieux 

La parution en juin 2015 de l’encyclique Laudato Si’ a marquĂ© un tournant dĂ©cisif dans le discours Ă©cologique mondial, suscitant un Ă©cho considĂ©rable bien au-delĂ  des cercles chrĂ©tiens. 

Sous-titrĂ©e Sur la sauvegarde de la maison commune, l’encyclique s’adresse Ă  « chaque personne qui habite cette planète Â», appelant Ă  une « conversion Ă©cologique Â» fondĂ©e sur une vision intĂ©grale de l’être humain et de la crĂ©ation. Au-delĂ  de son impact immĂ©diat dans la sphère politique internationale, elle a permis de sensibiliser un nouveau public Ă  l’importance de l’écologie dans la construction d’un monde plus juste et durable.

Ce texte a redonnĂ© de la lĂ©gitimitĂ© Ă  une parole religieuse dans les dĂ©bats publics, lĂ  oĂą elle Ă©tait parfois marginalisĂ©e, en montrant que la foi peut nourrir une rĂ©flexion Ă©thique profonde sur les enjeux contemporains. Laudato Si’ a inspirĂ© de nombreuses Ă©coles, universitĂ©s et institutions — religieuses ou non — Ă  dĂ©velopper des programmes sur l’écologie intĂ©grale, l’engagement social et la justice environnementale. Des mouvements comme GreenFaith ou Young Catholic Climate Movement ont vu le jour, encourageant les jeunes gĂ©nĂ©rations Ă  prendre des actions concrètes pour la justice climatique.

Le terreau d’une approche Ĺ“cumĂ©nique de l’écologie 

Laudato Si’ a marquĂ© une Ă©tape importante dans les relations Ĺ“cumĂ©niques, entrant en profonde rĂ©sonnance avec les prĂ©occupations partagĂ©es par de nombreuses Églises chrĂ©tiennes Ă  travers le monde. L’encyclique a ainsi pu ĂŞtre perçue comme un appel unifiant, invitant les chrĂ©tiens Ă  se rassembler pour faire face Ă  la crise Ă©cologique. 

L’approfondissement du dialogue entre l’Église catholique et les Églises de tradition orthodoxe et orientale est le plus notable. L’intĂ©rĂŞt de longue date des communautĂ©s monastiques orthodoxes pour une vie au plus proche de la nature destinaient ces Eglises Ă  une lecture favorable du texte. Ainsi, le patriarche Ĺ“cumĂ©nique de Constantinople, BartholomĂ©e Ier, souvent appelĂ© le “pape vert” en raison de ses prĂ©occupations Ă©cologiques de la première heure, a exprimĂ© son soutien, soulignant que la dĂ©fense de la nature est une “responsabilitĂ© morale” pour les chrĂ©tiens de toutes traditions. Il a saluĂ© Laudato Si’ comme une contribution significative au dialogue inter-chrĂ©tien et Ă  l’engagement commun pour la sauvegarde de l’environnement.  

Les membres des Eglises protestantes ont aussi accueilli favorablement l’encyclique. En France, l’initiative « Eglise verte » a reprĂ©sentĂ© un catalyseur de cette conversion. 

Lire aussi : Regard protestant sur Laudato Si’

Le texte du pape a Ă©galement renforcĂ© les relations avec l’Église anglicane, l’archevĂŞque de CantorbĂ©ry Justin Welby louant Laudato Si’ pour sa manière de relier de manière concrète les enjeux Ă©cologiques Ă  la dignitĂ© humaine et Ă  la solidaritĂ© entre les peuples. Ce dialogue a Ă©tĂ© essentiel dans l’établissement d’une coopĂ©ration chrĂ©tienne mondiale.  

Un appel rejoignant les préoccupations des différentes religions

L’encyclique a aussi jeté les bases d’un dialogue interreligieux sur l’écologie, fondé sur une conscience partagée de la responsabilité humaine envers la Terre et les générations futures. De nombreuses traditions spirituelles ont reconnu dans ce texte une convergence avec leurs propres enseignements sur le respect de la nature, ouvrant la voie à des collaborations inédites entre confessions dans la lutte contre la dégradation environnementale.

Dans le monde musulman, Laudato Si’ a Ă©tĂ© saluĂ©e pour sa prĂ©occupation commune avec les enseignements du Coran sur la protection de l’environnement, tel que repris dans l’initiative fĂ©dĂ©ratrice d’« Al Mizan » (« équilibre »). Dans la tradition islamique, la Terre est considĂ©rĂ©e comme un bien sacrĂ©, un amana (dĂ©pĂ´t confiĂ© par Dieu), et les croyants sont invitĂ©s Ă  en prendre soin. Le Grand Mufti d’Égypte, Ahmed el-Tayeb, a exprimĂ© son soutien Ă  l’appel du pape François. Le dialogue s’est approfondi avec des discussions sur la manière de mettre en Ĺ“uvre concrètement les principes (par exemple Ă  travers des campagnes de reforestation et de sensibilisation Ă  l’impact du changement climatique). 

Le judaĂŻsme, avec sa tradition de prĂ©servation de la Terre dans le cadre de l’alliance divine (concept de Tikkun Olam), a aussi rĂ©pondu positivement, notant que l’encyclique s’aligne avec les principes juifs de justice sociale et de respect envers la nature. En 2016, des rabbins du monde entier ont exprimĂ© leur soutien Ă  Laudato Si’, s’engageant Ă  travailler avec les catholiques et d’autres religions sur des initiatives environnementales. Le Rabbinat a encouragĂ© ses membres Ă  intĂ©grer les principes de durabilitĂ© et de respect de la nature dans leur mode de vie. 

Une résonnance au-delà des religions monothéistes

Les leaders hindous et bouddhistes, qui considèrent la nature comme sacrée et fondamentalement interconnectée avec l’humain, ont vu dans l’encyclique un appel à l’action pour une plus grande solidarité interreligieuse. Des organisations hindoues et bouddhistes ont adopté Laudato Si’ comme un texte de référence dans leurs discussions sur la spiritualité et la protection de l’environnement. Le Dalaï Lama a salué le pape François pour sa capacité à lier les questions environnementales à des préoccupations plus larges de justice sociale et exprimé son soutien.

Les grandes confĂ©rences interreligieuses sur l’écologie, comme celles organisĂ©es par le World Religions Summit ou par des institutions comme le Pontifical Council for Interreligious Dialogue, ont ainsi vu la participation active de leaders religieux du monde entier. 

En faisant de l’écologie une question morale, spirituelle et éthique dépassant les frontières confessionnelles et culturelles, Laudato Si’ a ouvert de nouvelles voies de dialogue et de coopération par toute la planète. Dix ans après sa publication, elle reste une référence vivante.

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