Chloé Grabli
Fondatrice de Mensch Collective

Chloé Grabli
Fondatrice de Mensch Collective
analyse
Préparons-nous au #TravailDeDemain !
Le monde du travail est à l’image de la société, il en est à la fois le produit et le producteur. Dans un monde en mutation, la question de l’évolution du travail est au centre des préoccupations. Quelles tendances observons-nous aujourd’hui et comment nous préparer pour demain ? Vers quelles nouvelles formes de travail allons-nous ? Quel sera le futur du travail ? Chloé Grabli, consultante en développement des organisations, nous livre sa réflexion sur le travail de demain.
Nous observons actuellement des signaux faibles qui laissent présager une mue profonde du monde du travail avec des impacts forts à la fois individuels et collectifs.
Émergence de nouveaux métiers
Le digital permet d’automatiser les tĂ¢ches rĂ©pĂ©titives pour lesquels l’humain apporte peu de valeur ajoutĂ©e et ouvre de multiples perspectives ; l’intelligence artificielle permet, quant Ă elle, de traiter rapidement les sujets les plus compliquĂ©s. En consĂ©quence, de nombreux mĂ©tiers vont disparaĂ®tre et d’autres, apparaĂ®tre : d’après plusieurs Ă©tudes, 60 % des mĂ©tiers exercĂ©s en 2030 n’existent pas aujourd’hui. Les mĂ©tiers qui sont en train d’émerger semblent mettre au travail notre spĂ©cificitĂ© dâ€™Ăªtre humain, comme l’empathie, la crĂ©ativitĂ© ou l’imagination, et nous pouvons nous en rĂ©jouir. Cela invite Ă©galement Ă repenser la question de la formation. Chacun doit veiller Ă apprendre tout au long de sa vie. Il n’y a plus de sens Ă sĂ©parer formation initiale et formation continue. La sociĂ©tĂ© doit accompagner ce mouvement et prendre en compte ces nouveaux besoins.
Regain des métiers à fort impact sociétal
La recherche de l’impact sociĂ©tal et de l’épanouissement au travail semble prendre le dessus sur la recherche de gain financier. D’un cĂ´tĂ©, l’économie sociale et solidaire est en pleine croissance et crĂ©atrice d’emplois. De mĂªme, la certification B‑Corp qui vise Ă mettre l’entreprenariat au service du bien commun attire des entreprises de plus en plus nombreuses. De l’autre, la recherche d’épanouissement personnel fait de nombreux adeptes et prend aujourd’hui la forme du « bonheur au travail », qui apparaĂ®t comme un palliatif Ă la violence au travail vĂ©cue par certains avec son slogan : « le bonheur de vos collaborateurs entraĂ®ne la performance Ă©conomique de votre entreprise ». Le collaborateur est ainsi uniquement considĂ©rĂ© comme une ressource en entretenant la confusion entre moyen et finalitĂ© et en oubliant que le travail est au service de l’humanitĂ©, et non l’inverse.
Dans cette invitation Ă repenser l’équilibre entre gagner de l’argent, se dĂ©velopper en tant que personne et contribuer pour la sociĂ©tĂ©, le slashing apparaĂ®t aujourd’hui comme une proposition efficace et serait peut-Ăªtre le secret de l’épanouissement au travail. Slasher, vient du symbole « / » et signifie exercer plusieurs activitĂ©s en parallèle : par exemple Ăªtre salariĂ© d’une grande entreprise, ce qui nourrit le besoin de sĂ©curitĂ© financière, et en mĂªme temps Ăªtre auto-entrepreneur et exercer son mĂ©tier passion. Il s’agit d’une façon moderne de rĂ©soudre la tension entre les deux racines latines : labor (travail pĂ©nible, contraint) et opus (qui signifie Å“uvre et invite Ă la crĂ©ation, au progrès et Ă la libertĂ©), en les sĂ©parant.
Cependant lorsqu’occuper plusieurs activités a pour unique intention d’obtenir un revenu correct, nous nous rapprochons plus de la précarité que de l’épanouissement et de l’équilibre.
Le développement du travail indépendant
Enfin, l’économie de plateforme casse tous les codes relationnels. Les plateformes mettent en relation des professionnels qui offrent des services, des utilisateurs et des applications qui se relient via des API. Les modèles économiques sont bousculés. Il y a une redistribution des cartes entre le bénéficiaire, le payeur et le produit, avec comme boussole « si c’est gratuit, c’est que tu es le produit ». Le lieu de création de valeur est la mise en lien et la collecte de données.
L’économie de plateforme a favorisĂ© l’émergence du travail indĂ©pendant, en freelance : des chauffeurs de taxi, mais Ă©galement des graphistes, concepteurs web, rĂ©dacteurs, agents de voyages, formateurs,… Les talents et compĂ©tences sont appelĂ©s « Ă la demande », lorsqu’il y a un client. Ils sont ensuite notĂ©s, Ă©valuĂ©s pour chaque action. Cette Ă©conomie peut Ăªtre très rĂ©jouissante pour les plus talentueux, qui trouvent de la libertĂ©, de l’autonomie ainsi que pour certains plus exclus, qui trouvent une activitĂ© rĂ©munĂ©rĂ©e lĂ oĂ¹ ils n’ont pas trouvĂ© d’emploi. Cependant, cette organisation du travail peut mener Ă la prĂ©caritĂ© et Ă l’insĂ©curitĂ©. La sociĂ©tĂ© doit agir pour donner de la protection Ă ces nouveaux travailleurs qui ne peuvent compter que sur eux-mĂªmes.
Se relier et savoir participer Ă un collectif
Dans cette pĂ©riode complexe et en forte mutation, ce qui crĂ©e de la valeur semble Ăªtre notre capacitĂ© Ă participer Ă un collectif et Ă rencontrer l’altĂ©ritĂ© pour crĂ©er du nouveau. Depuis quelques annĂ©es les espaces de co-working se multiplient pour rĂ©pondre Ă la question de l’interdĂ©pendance : comment Ăªtre un travailleur indĂ©pendant et en mĂªme temps faire partie d’une communautĂ© qui apporte une forme d’ancrage et de protection ? Depuis fin 2016, des tiers lieux se multiplient. Il s’agit d’espaces oĂ¹ se retrouvent grandes entreprises, start-up, indĂ©pendants, artistes avec la promesse que l’évolution et l’innovation Ă©mergeront de cette friction, de cette rencontre entre les diffĂ©rences. Dans ce monde post digital, nous allons travailler les uns avec les autres et non les uns comme les autres, les uns pour les autres ou les uns contre les autres.
Nous sentons que la notion de concurrence et de compétition est en train de laisser place à la coopération. Tout un écosystème, clients, partenaires, concurrents, saura se rencontrer au service d’un objet génératif, créateur de valeur pour la société. La compétence clé demain sera la capacité à participer à un collectif éphémère qui va se créer et se dissoudre en fonction des besoins.
Dans ce monde du travail, la libertĂ©, la crĂ©ativitĂ©, la responsabilitĂ© et la coopĂ©ration semblent prendre le pas sur la contrainte, les procĂ©dures, la soumission et la compĂ©tition. La part sombre associĂ©e pourrait Ăªtre la prĂ©caritĂ©, la diminution des revenus du travail et la nĂ©cessitĂ© de maintenir toujours un niveau de compĂ©tence Ă©levĂ©. L’État aura un rĂ´le majeur Ă jouer pour garantir un Ă©quilibre, notamment en termes de protection sociale et de formation continue.