Dominique Greiner

Dominique Greiner, théologien moraliste et membre du directoire du groupe de presse et d’édition Bayard

Dominique Greiner

Dominique Greiner, théologien moraliste et membre du directoire du groupe de presse et d’édition Bayard

Publié le : 26/11/2025

10 minutes

regard spirituel

Chrétiens, passeurs d’espérance

Comment espérer dans un monde abîmé, divisé et polarisé ? Optimisme béat ou résistance ? Eclairage de Dominique Greiner.

Cet article est un extrait d’une intervention donnée par Dominique Greiner en mai 2025 sur le thème “comment espérer en des temps troublés ?”. Le texte intégral est disponible ici.

Je voudrais illustrer une conviction : que la foi chrétienne offre des ressources pour affronter ces temps difficiles. Que l’espérance en fait partie.

Dans sa bulle d’induction Spes non confudit (« l’espérance ne déçoit pas ») qui annonce l’année jubilaire 2025, le pape François nous invite, dans la lignée le prolongement du Concile Vatican II, à scruter les signes des temps et à opérer un discernement : quelle est la volonté de Dieu dans un monde où l’ivraie côtoie le bon grain ; qu’est-ce que Dieu attend de nous ? Mais François indique une étape supplémentaire : il nous invite à transformer les signes des temps en signes d’espérance. Des signes de « grande espérance ».

Dans une belle encyclique consacrée à l’espérance, Spe salvi, (« Sauvés dans l’espérance ») publiée en 2007, le pape Benoît XVI soulignait qu’il y a beaucoup de « petites espérances » dans nos vies. Des espérances qui risquent fort d’être déçues, si elles ne sont pas mues par une espérance encore plus grande, qui doit dépasser tout le reste.

Cette grande espérance qui doit nous animer, c’est Dieu. C’est lui que nous devons désirer de manière ultime. Faire en sorte que les signes des temps deviennent des signes d’espérance, c’est manifester notre désir de Dieu, notre foi en Dieu. Que Dieu est ce qui compte avant tout pour moi, pour nous. Un Dieu qui a opéré et opère de grandes choses dans ce monde.

A ce point de la réflexion, certains pourront m’objecter : tout cela est très beau, mais n’est-ce pas faire preuve d’un optimisme un peu béat ? L’objection est légitime. Mais en réalité, l’espérance ne se confond pas avec l’optimisme. C’est ce qu’explique Corine Pelluchon dans un beau livre intitulé : L’espérance ou la traversée de l’impossible[1].

Dès les premières pages, la philosophe insiste pour dire que l’optimisme et l’espérance sont deux choses complètement différentes. Parce que l’espérance, ce n’est pas un pansement sur le mal. Ce n’est pas un discours lénifiant ou un discours facile de consolation. Ce n’est pas un discours visant à encourager les bonnes volontés, à épargner aux plus fragiles les conséquences d’une trop grande lucidité : « demain ça ira mieux » , « ne t’inquiète pas » ; « Allez, reprends le dessus ». Ça c’est l’optimisme, pas l’espérance. L’optimisme, c’est la méthode Coué, où j’essaie de remobiliser celui qui est en face de moi, de lui remonter le moral… Or l’espérance n’est pas une parole qui vient de nous-mêmes.

En grec, rappelle Corine Pelluchon, espérance se dit elpis. L’espérance, c’est ce qui reste au fond de la boîte après qu’on a ouvert la boîte de Pandore et que tous les mots se sont envolés. Mais est-ce bien ce qui reste au fond de la boite dont nous avons besoin pour vivre, pour « traverser l’impossible », comme l’indique le titre de son livre ? Assurément non.

C. Pelluchon sait de quoi elle parle. Dans son livre, elle raconte comment elle a vécu la dépression. Elle parle de l’espérance à partir de son expérience de la désespérance. Ce qui lui fait dire que ne peut parler de l’espérance que celui qui a vraiment fait l’expérience de la désespérance. Ne peuvent parler de l’espérance que ceux qui ont vraiment traversé l’impossible, qui ont fait l’expérience de l’inespéré, qui ont vraiment vécu dans leur chair la désespérance. Et ce n’est pas l’optimisme qui peut fait sortir du gouffre de la désespérance.

L’espérance, c’est la certitude que quelque chose est déjà là, peut-être au-delà de nos attentes

C. Pelluchon parle en philosophe. Qu’en est-il pour la foi chrétienne ? Le Christ est celui qui a fait l’expérience de la désespérance pour chacun d’entre nous. Il faut entendre sa prière à Gethsémani. Il faut entendre sa prière sur la croix, lorsqu’il reprend une phrase du psaume 22 : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (cf. Mt 27,46 ; Mc 15, 34). Il a enduré pour nous la désespérance pour nous en délivrer. Il a fait cette traversée de l’impossible. C’est parce qu’il a fait l’expérience de la désespérance, qu’il est un modèle d’espérance. Le Christ est notre espérance.

L’espérance n’est donc pas une sorte de consolation. Ce n’est pas un vague optimisme, dans l’attente de temps que nous espérons meilleurs, en nous en remettant à nous-même et en nos propres capacités. Non, l’espérance vient d’ailleurs.

Dans l’optimisme, nous sommes encore préoccupés de nous-mêmes, et nous habitons le monde en fonction de ce que nous voulons, nous, obtenir. Dans la passion, le Christ ne demande rien pour lui. Il s’en est totalement remis entre les mains de son Père. « Que cette coupe s’éloigne de moi, oui, non, pas ma volonté, la tienne. » (cf. Luc 21, 39–46).

Espérer pour les autres

L’espérance suppose que nous ne demandions rien pour nous-mêmes. L’espérance, c’est la certitude que quelque chose est déjà là, peut-être au-delà de nos attentes, autre que nos attentes. L’espérance, c’est l’assurance que quelque chose est déjà là, même si les événements semblent nous donner tort. Parce que, finalement, ce qu’il me sera donné, ce n’est pas nécessairement ce que j’attendais. Lorsque Jésus prie sur la croix, il se tourne vers le Père. C’est une prière d’espérance, mais ce n’est pas la résurrection qu’il demande. Jésus n’a jamais demandé à être ressuscité. Par contre, il a accepté de passer par le chemin de la passion, de la désespérance, pour nous. Pour que nous soyons sauvés.

Nous avons une responsabilité pour espérer pour les autres quand ils n’espèrent plus. Espérer pour les autres, comme le Christ a espéré pour nous

Cela nous apprend une chose : nous avons une responsabilité pour espérer pour les autres quand ils n’espèrent plus. Espérer pour les autres, comme le Christ a espéré pour nous. C’est ainsi que je comprends l’appel du pape François, lorsqu’il nous demande de transformer les signes des temps en signe d’espérance. Il s’agit de manifester à travers des gestes très concrets que Dieu n’a pas abandonné l’humanité. Des gestes à l’égard des pauvres, à l’égard des plus démunis, des prisonniers. Des gestes pour construire la paix.

Ainsi, chaque fois que des chrétiens s’engagent auprès des plus pauvres, auprès des plus vulnérables, ils disent quelque chose de leur espérance. Ils transforment les signes des temps en signe d’espérance. Ils annoncent un monde où il n’y aura plus d’exclus, où les cœurs seront guéris des traumatismes qui les touchent.

Être des pèlerins d’espérance, être des passeurs d’espérance, c’est finalement répondre à l’invitation qui est faite à toutes les communautés chrétiennes et à tous les fidèles de « rendre compte de cette espérance qui est en nous » (cf. 1 P 3, 16). Rendre compte : je veux entendre cette expression au premier sens du terme. As-tu été un bon gestionnaire de l’espérance que Dieu a mise en toi, de ce don qu’il t’a fait ? Qu’en as-tu fait ? L’as-tu dilapidée ou l’as-tu fait fructifier ?

Être pèlerins d’espérance ne signifie pas que la vie chrétienne n’est pas sans difficulté. Nous sommes sauvés en espérance, nous dit saint Paul (Rm 8, 24). Sauvés, pas délivrés de toutes les atteintes du malheur, pas délivrés des tribulations, de l’angoisse, de la persécution, de la faim, du péril (cf. Rm 8, 35). Jésus lui-même n’a pas échappé aux tribulations dans sa vie terrestre. Dans notre grande espérance, c’est que Dieu sauve et qu’il nous nous donne de vivre pleinement les temps présents et nous donne les ressources pour que nous puissions assumer notre liberté pour que les tribulations, les angoisses, les souffrances bientôt ne seront plus. Dieu compte sur nous pour le manifester. Pour donner goût à la vie et à l’avenir.

Ensemble, nous témoignons que Dieu est toujours actuel

[…] Il me faut conclure. L’espérance, ce n’est pas l’optimisme. C’est un acte de résistance qui nous pousse à maintenir, envers et contre tout, des liens avec nos frères et nos sœurs, et notamment avec les plus vulnérables.

Cette résistance nous fait maintenir aussi un lien avec le futur. L’espérance nous fait regarder devant : quelque chose de nouveau va advenir et déjà Dieu fait surgir du nouveau dans nos existences, d’une manière inattendue, d’une façon qui excèdera toujours nos attentes et nos prières qui ne seront jamais à la hauteur de Dieu. En effet, nous sommes souvent des « petits demandeurs » devant Dieu, comme il y a des « petits joueurs » dans les jeux de hasard, alors que Dieu lui joue grand !

Chaque fois que des chrétiens s’engagent auprès des plus vulnérables, ils disent quelque chose de leur espérance

Pour vivre cette espérance, nous ne sommes pas seuls. Nous la vivons en Eglise. L’Église est ce grand corps d’espérance qui porte la mémoire heureuse de la présence continue de Dieu à l’histoire des hommes, pour les hommes et pour leur ouvrir un avenir. Ensemble nous formons le corps qui espère, et c’est le Christ, qui est notre tête et notre espérance. Ensemble, nous témoignons que Dieu est toujours actuel : c’est de nous dont parle l’aujourd’hui prononcé à la synagogue de Nazareth. Le salut, c’est maintenant.


[1] Corine Pelluchon, L’espérance, ou la traversée de l’impossible, Rivages, Paris, 2023. Corine Pelluchon aborde l’espérance d’un point de vue philosophique. Cela ne l’empêche pas de se tourner vers la sagesse biblique pour étayer son propos.

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