Matthieu Piccoli

Gériatre

Matthieu Piccoli

Gériatre

PubliĂ© le : 26/04/2021

5 minutes

témoignage

Matthieu Piccoli, un jeune gériatre dans la crise du Covid

Au sein des hôpitaux parisiens publics Broca et Cochin, le docteur Matthieu Piccoli évolue dans une équipe mobile de gériatrie, ainsi qu’une équipe mobile d’accompagnement et de soins palliatifs. Assurant une consultation “mémoire” et de gériatrie générale, président de l’association des jeunes gériatres (AJG) depuis 2019, il s’est retrouvé au premier rang de l’épidémie au printemps 2020.

Vous avez 35 ans. Quel itinĂ©raire vous a menĂ© en gĂ©riatrie ?

En sixième annĂ©e d’études de mĂ©decine, j’ai effectuĂ© un stage en gĂ©riatrie oĂą j’ai dĂ©couvert une prise en charge globale de la personne, au plan mĂ©dical, biologique, physique et prenant en compte les aspects sociaux. Pouvoir Ă  la fois amĂ©liorer la santĂ©, la qualitĂ© de vie des personnes, leur confort tout en apprenant beaucoup de ce qu’elles ont vĂ©cues, c’était Ă  la fois très riche sur le plan intellectuel et humain. J’avais trouvĂ© ma voie ! Après l’internat, je suis devenu chef de clinique puis praticien hospitalier dans le groupe Assistance publique-HĂ´pitaux de Paris (APHP) Centre — UniversitĂ© de Paris. En parallèle de mes Ă©tudes mĂ©dicales, j’ai obtenu un master de recherche en Ă©thique mĂ©dicale Ă  l’universitĂ© Paris-Descartes. Actuellement en doctorat, mon sujet de thèse concerne l’accompagnement des personnes atteintes du syndrome de Diogène.

Quel regard portez-vous sur la crise sanitaire ?

Comme toute crise, elle a le pouvoir de renforcer les problĂ©matiques prĂ©existantes. Elle est le fruit de la rencontre entre une maladie virale, un ensemble de pathologies chroniques, tels l’hypertension, l’obĂ©sitĂ© ou le diabète, et des facteurs socio-Ă©conomiques. Tout le monde peut ĂŞtre touchĂ©, pas seulement les personnes âgĂ©es. Ă€ son dĂ©but, les regards Ă©taient braquĂ©s sur les Ă©tablissements d’hĂ©bergement pour personnes âgĂ©es dĂ©pendantes (Ehpad) dont la vulnĂ©rabilitĂ© est habituellement passĂ©e sous silence. L’opinion courante Ă©tait que la mort de personnes âgĂ©es, perçues comme principales victimes du virus, n’était pas grave.

La crise a par ailleurs accentuĂ© le clivage entre deux visions de la santĂ©. Celle de la santĂ© publique, avec le dĂ©veloppement de statistiques très prĂ©cises destinĂ©es Ă  prendre des mesures pour protĂ©ger la population, comme le confinement, le couvre-feu, la distanciation, le port de masques, et pour prĂ©server les capacitĂ©s du système de santĂ©. Cette conception collective s’oppose Ă  l’autre vision qui prĂ©vaut habituellement : plutĂ´t individuelle, laissant Ă  chacun une capacitĂ© de choix. Enfin, on a Ă©tĂ© confrontĂ© au dĂ©veloppement de “l’âgisme”, c’est-Ă -dire des discriminations Ă  l’égard des personnes âgĂ©es que l’on a voulu artificiellement opposer aux jeunes, Ă  l’origine de prises de position discutables.

Dans ce contexte, quelle a Ă©tĂ© la stratĂ©gie dĂ©ployĂ©e par les pouvoirs publics ?

Les recommandations de la Haute autoritĂ© de santĂ© (HAS), sur lesquelles le gouvernement appuie sa stratĂ©gie vaccinale, reposent sur deux grands piliers : rĂ©duire la morbiditĂ© attribuĂ©e Ă  la maladie sous toutes ses formes et maintenir l’activitĂ© Ă©conomique du pays, particulièrement le système de santĂ© dĂ©jĂ  fragile. Elles donnent la prioritĂ© aux personnes qui sont les plus Ă  risque de dĂ©velopper des formes graves. Une personne sur six dans notre pays est vulnĂ©rable ! Tout le monde peut ĂŞtre concernĂ©, car le virus circule dans l’ensemble des classes d’âge. Nous sommes, chacun, renvoyĂ©s Ă  notre propre vulnĂ©rabilitĂ©.

Que faire pour Ă©viter d’opposer les gĂ©nĂ©rations entre elles ?

Une solution est de considĂ©rer cette crise de manière plus large et d’utiliser le concept de “syndĂ©mie”, partant du constat qu’une pandĂ©mie aggrave une situation d’inĂ©galitĂ© et de vulnĂ©rabilitĂ© prĂ©existantes, sous l’effet d’un cercle vicieux. Je prĂ©fère raisonner de façon globale. Il faut en effet inclure les dimensions sociales, Ă©conomiques, psychologiques, culturelles, politiques et environnementales. Regardons les liens entre les gĂ©nĂ©rations : les grands-parents gardent les petits-enfants, beaucoup de personnes âgĂ©es sont investies dans les associations, etc. Le monde associatif, les services entre gĂ©nĂ©rations et le monde Ă©conomique ne peuvent fonctionner les uns sans les autres.

Comment vous situez-vous personnellement dans cette crise ?

Mon ouverture Ă  l’autre et Ă  ses fragilitĂ©s est assez ancienne et je la vis de façon plus intense maintenant que je sors de trois mois de convalescence, après une infection Ă©prouvante Ă  la Covid. Comme gĂ©riatre, je cherche Ă  donner des rĂ©ponses accessibles pour que les gens soient acteurs de leur santĂ©. Dans ce sens, je vois une dimension spirituelle rĂ©elle dans mon mĂ©tier sans aller jusqu’à parler de vocation, concept qui pour moi relève du religieux. ConfrontĂ© Ă  la fin de vie et Ă  la mort, je ne peux me passer du travail en Ă©quipe pour mieux accompagner les patients : c’est une mĂ©canique horlogère de haute prĂ©cision permettant Ă  chacun de jouer sa partition. Mon rĂ´le est de mettre de l’huile dans les rouages pour trouver avec les autres une solution destinĂ©e Ă  aider la personne Ă  mieux vivre, retrouver un meilleur Ă©tat de santĂ© ou son autonomie.

Quand la mort survient empêcher la personne de souffrir et accompagner son entourage, de sorte que ce moment soit le moins pénible possible, peut apporter une grande joie. Cela ouvre à des relations d’autant plus authentiques et profondes que le gériatre prend la personne dans sa globalité, tenant compte des priorités de vie de chacun.

ĂŠtre immergĂ© dans l’intergĂ©nĂ©rationnel, c’est très intime. Parfois les patients me confient leurs souvenirs. Cette mĂ©moire m’apparaĂ®t fondamentale pour devenir “passeur d’avenir” et cela rejoint nos prĂ©occupations actuelles : avoir la mĂ©moire de la vaccination, en particulier celle contre la poliomyĂ©lite qui a permis de parvenir Ă  sa quasi-Ă©radication, au moment oĂą celle contre la Covid-19 arrive comme une issue, est porteur d’espoirs.

Propos recueillis par Solange de Coussemaker, membre du comité de rédaction.

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